Résiliation de bail en temps de Covid-19? Le locateur peut-il se prévaloir de la force majeure (Covid 19) pour justifier l’absence de jouissance par le locataire des lieux loués et réclamer les loyers pour la même période?

En cette période de crise sanitaire, compte tenu la fermeture de différents commerces, le tout lié au Covid 19, et ce, en application des mesures mises en place par le gouvernement aux mois de mars à juin 2020, plusieurs locataires se posent la question de savoir quels sont leur droit quant au loyer à payer. Il va sans dire que les tribunaux devaient avoir à trancher ses fameuses questions aussitôt la reprise bien que timide des activités. Ceci ne s’est pas attendre car la Cour Supérieure du Québec a rendu le 16 juillet 2020 une décision traitant de la résiliation du bail commercial en période de Covid 19 dans l’affaire Hengyun International Investment Commerce Inc. c. 9368-7614 Québec Inc., 2020 QCCS 2251 (CanLII).

Dans cette affaire, le locateur, la société Hengyun International Investment commerce Inc., demande la résiliation du bail commercial de 9368-7614 Québec Inc. (locataire) et requiert du tribunal que ce dernier soit condamné à payer les arriérages dus y compris le loyer de la période au cours de laquelle la pandémie a sévi (mars à juin 2020). Entre autres arguments soulevés par le locateur, il se prévaut de la clause 13.03 du bail portant sur la force majeure, pour indiquer que son incapacité à donner jouissance paisible des lieux loués au locataire pendant la Covid 19 résultait d’une obligation des locateurs de fermer certaines espaces dès lors que les activités y exercés n’étaient pas considérées essentielles.

La force majeure est définie à l’article 1470 al 2 du code civil du Québec comme un évènement imprévisible et irrésistible. Selon la cour, est irrésistible l’événement qui empêche l’exécution de l’obligation par quiconque et pas seulement par le débiteur de l’obligation et, est imprévisible, un évènement que le débiteur n’aurait pu prévoir, que lui ou une personne qui lui est liée n’aurait pas provoquer. Sous cette analyse, la cour a ainsi retenu que la pandémie de Covid 19 est une force majeure. Toutefois, cette pandémie empêche le locateur de respecter son obligation essentielle au contrat qui est d’assurer la libre jouissance des lieux loués au locataire. De l’avis de la Cour, c’est le locateur qui a été empêché par une force majeure de s’acquitter de son obligation envers le locataire de lui assurer une jouissance paisible des locaux. Puisque le bail prévoit que les locaux doivent être utilisés « uniquement comme gymnase » et que cette activité était interdite en vertu du décret, la Cour est d’avis que locataire n’a pas bénéficié de la jouissance paisible des locaux pendant cette période. Qui plus est, selon l’article 1694 du Code civil du Québec, un débiteur (le locateur ici) libéré par impossibilité d’exécution ne peut pas exiger l’exécution de l’obligation corrélative du créancier (locataire). Selon la cour, le locateur qui est libéré de son obligation de s’assurer une jouissance paisible des lieux loués par le locataire ne peut pas demander à ce dernier pour la même période, le paiement des loyers y relatifs. Par conséquent, bien que le locateur ait été empêché par une force majeure de fournir une jouissance paisible au locataire, il ne pouvait insister pour que ledit locataire paie un loyer, ce dernier bénéficiant de l’exception d’inexécution.

Comment interpréter la clause de force majeure inscrite au contrat de bail ?

La Cour procède également à une analyse de la clause de force majeure inscrite au contrat ce qui appelle à la vigilance lors de la rédaction desdites clauses. De l’avis de la Cour, la clause inscrite à l’article 13.03 du bail envisage l’application de la force majeure à des obligations dont l’exécution est retardée ; mais pas aux obligations qui ne peuvent être exécutées du tout. Selon le libellé de l’article 13.03 du bail, la partie incapable d’exécuter une obligation n’est excusée que pour la période du retard et a le droit de l’exécuter ultérieurement. Or l’absence de jouissance paisible des lieux loués par le locataire est une inexécution de l’obligation essentielle du locateur et non un retard de l’exécution de ladite obligation. Dans cette affaire, la Cour indique que le respect par le locateur de son obligation de fournir une jouissance paisible des locaux de mars à juin 2020 n’a pas été retardé mais, que cette obligation ne pouvait tout simplement pas être exécutée. Par conséquent, le locateur ne peut insister sur le paiement du loyer pour cette période et l’article 13.03 du bail ne s’applique pas. Pour terminer, la Cour rappelle, en reprenant la position de la Cour d’appel dans CNH Canada Ltd. c. Promutuel Lac St-Pierre – Les Forges, société mutuelle d’assurances générales, 2015 QCCA 204 que même si les parties à un bail peuvent convenir de limiter l’impact de l’incapacité du locataire à fournir une jouissance paisible des lieux, elles ne peuvent accepter de l’exclure complètement.

Covid 19 comme force majeure au bénéfice du locataire?

Quant au locataire, il soutient qu’il a été empêché de remplir son obligation de payer un loyer parce qu’il n’a pas été en mesure de générer des revenus en raison du décret. Dans sa décision, la Cour nous enseigne que pour être qualifié de force majeure, l’événement en cause doit empêcher tous les locataires se trouvant dans la même situation de payer leur loyer et pas seulement ceux qui manquent de fonds suffisants. Une analyse objective de la situation de tous les locataires placés dans la même situation doit donc être faite, l’analyse subjective ne tenant pas lieu de défense admissible.

Selon l’analyse que nous retenons ici, on pourrait en déduire que, dans un cas où le locateur aurait permis la jouissance paisible des lieux loués mais qu’un locataire dont les services sont qualifiés d’essentiels ne paie pas le loyer à cause d’une baisse d’activités ou de chiffre d’affaires, la défense de force majeure (Covid 19 comme en l’espèce) ne pourra pas lui être applicable et il devra acquitter les loyers même pour la période pandémique soit de mars à juin 2020.

Les rédacteurs des baux commerciaux devront faire attention à la formulation et à l’interprétation que les tribunaux.

[/fusion_text][/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]